Je suis fille unique. Ma famille a toute une collection de valises qui nous ont suivis au gré de nos déménagements depuis mes neuf ans. J'ai fréquenté deux écoles primaires différentes, deux collèges et deux lycées (c'était très fastidieux de remplir mes candidatures de fac). Je crois que ces valises tenaient mieux le coup que moi après chaque déménagement.
C'est déjà dur d'être ado, alors ado dans une famille immigrée aux États-Unis, c'est l'horreur. À cet âge-là, on cherche une appartenance, des repères ; et en tant qu'immigrée, c'est pile ce qui vous manque. Chaque fois que je dois remplir une candidature, je suis obligée d'emporter un dossier. Mon père en a un pour chacun de nous : bleu pour lui, vert pour ma mère, orange pour moi. Je déteste l'orange. Il contient des formulaires et d'énormes liasses prouvant que j'ai le droit de résider dans ce pays, même si je suis née ailleurs. Alors que j'ai vécu la majeure partie de ma vie ici, que j'ai abandonné ma langue natale et que je ne me rappelle quasiment rien de ma lointaine enfance.
J'ai appris très tôt que je n'étais nulle part vraiment à ma place. Dans ce pays, je suis un « étranger non résident », mais je suis avant tout une personne et comme toute personne, je suis à ma place partout où je vais. Ma place, c'est dans mes baskets. Alors, chaque fois que je dois prendre une grande décision (postuler à la fac ou pour un emploi, par exemple), je me pose cette question : pour qui vis-tu, sinon pour toi ?
C'est ce que j'ai fait avant de postuler sur LinkedIn pour le stage de relations publiques chez Ubisoft. Je savais que j'avais peu de chances : le site indiquait avoir reçu plus de 600 candidatures. Mais je me devais à moi-même de tenter le coup, même si c'était un coup d'épée dans l'eau. Par ce simple envoi de candidature, je réaffirmais mon assurance. Pour moi, c'était aussi important que de décrocher un entretien. Quand je postule, j'ai toujours l'impression de sauter d'une falaise en chute libre. Une fois la candidature envoyée, on ne contrôle quasiment rien, tout est donc question de confiance en soi. Cette confiance, c'est le parachute qui vous garde en vie pour continuer à faire le grand saut des candidatures.
Mais pour avoir vraiment confiance en soi, il faut découvrir à quoi on attache de l'importance. Je pense que c'est l'une des aventures les plus gratifiantes qu'on puisse entreprendre. Comme je n'ai jamais trouvé un endroit sur Terre qui m'appartenait, j'ai toujours été attirée par les mondes de fiction : les livres et, bien sûr, les jeux vidéo. J'aime bien les films et la télévision aussi, mais je trouve ça moins immersif par rapport aux romans et aux jeux. Quand on lit, quand on joue, on a l'esprit accaparé par l'histoire qu'on est en train de vivre, on croit en son existence. J'adore les histoires parce que je me reconnais en elles, et elles finissent par faire partie intégrante de mon identité. C'est quelque chose qui m'importe beaucoup. Je tenais absolument à travailler dans un environnement qui attache de l'importance aux histoires ; et voilà que je me retrouve dans un lieu qui donne un rôle central à certaines de mes histoires préférées.
Je suis convaincue qu'il faut vivre activement ses passions ; je venais d'ailleurs de passer modératrice sur le subreddit r/AssassinsCreed quand j'ai déposé ma candidature. Je savais que j'allais adorer ce rôle et ça a été le cas ! J'ai pu reconcevoir des pans entiers du subreddit ; j'ai même ajouté un doc Word contenant 10 pages d'informations sur Valhalla (oui, je frime, et alors ?). J'adore créer et surtout, j'adore créer des choses en lien avec ce que j'aime. C'était une de mes façons de me motiver à postuler pour mon stage : à cette humble échelle, au moins, je restais encore dans la course. Pour moi, votre travail n'est gratifiant que s'il est à votre image. Si vous vous épanouissez dans votre rôle, alors vous n'arrêtez jamais d'évoluer, d'apprendre et de changer à travers votre travail. Je sais que choisir son métier est un luxe, mais je suis persuadée que la création est un bon moyen de s'épanouir.
Après tout, ça ne peut venir que de vous et pas de quelqu'un d'autre. En deuxième année de fac, j'ai fait un petit boulot sur le campus : aider les autres étudiants à choisir leur cursus, leurs modules, etc. Ça fonctionnait et ça me plaisait de me sentir utile, mais c'était un peu répétitif à la longue. J'ai donc proposé de créer un prospectus récapitulant tout ce qu'il faut savoir pour décrocher son diplôme en quatre ans, et ça a été le premier des nombreux projets que j'ai développés pendant mes trois ans à ce poste. Je savais que je devais créer pour m'épanouir et ça me donnait envie de faire mon travail.
Alors mon conseil est à la fois un défi et une demande : sachez toujours comment vous épanouir. Si ce n'est pas encore le cas, prenez le temps de le découvrir. Aucun souci. Vous avez tout le restant de votre vie ! J'ai appris ça tôt par la force des choses : aussi loin que je me rappelle, j'ai toujours dû prouver mon envie d'exister dans ce pays. Même pour quelque chose d'aussi simple que d'obtenir mon permis de conduire, je devais prévoir mon formulaire I-20, mon passeport, plusieurs exemplaires de mon visa F-1, mon relevé de notes universitaire, mon certificat d'admission et j'en passe. Il faut être préparé à défendre son existence ici, or j'ai eu 11 ans pour conclure que c'est le meilleur endroit pour moi.
Chaque fois que je reviens dans ce pays, on me demande : « Pourquoi ici ? » Je pense qu'on devrait tous avoir une réponse à cette question. La mienne a toujours été « Parce que c'est ici que je peux étudier », mais pour une fois, j'aimerais y répondre sincèrement : « Parce que c'est ici que je m'épanouis le plus. C'est ici que j'ai grandi et évolué, aussi loin que je me souvienne. Ici que j'ai appris à avoir confiance en moi. Ici qu'est ma place, pour l'instant en tout cas. »