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PLUS QU'UN JEU, SON METIER: GAMEPLAY ANIMATOR

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Cela fait plus de vingt ans qu’elle travaille dans l’animation, en grande majorité dans le jeu vidéo, mais aussi au cinéma. Sonia Pronovost est Gameplay Animator chez Ubisoft Montréal, et les joueur.euses ont pu observer son travail récemment dans Assassin’s Creed, avec entre autres les oiseaux accompagnant les héros de la franchise. Elle nous raconte sa passion du dessin, ses premiers pas dans l’industrie, et comment elle anime des animaux.

LORSQU’ON REGARDE TON PARCOURS, ON DIRAIT QUE L’ANIMATION A TOUJOURS ÉTÉ TON OBJECTIF. POURQUOI AVOIR CHOISI CE DOMAINE ?

SONIA PRONOVOST - Cela remonte à loin. Enfant, je dessinais énormément, je le fais encore un peu aujourd’hui. J’étais introvertie, je le suis encore, et le dessin m’apportait une sorte de bulle créative qui me faisait du bien. Quand je regardais des dessins animés, des Disney notamment, j’étais complètement fascinée de voir des dessins, mis les uns à la suite de l’autre, « donner vie à des personnages ». Je me souviens avoir fait des « flipbook » avec le bout des feuilles de mes cahiers, c’était un feeling incroyable de voir mes dessins prendre vie. J’ai toujours été attiré par les arts visuels donc c’était une évidence pour moi d’étudier dans ce domaine. L’animation offre quelque chose en plus je trouve, on a vraiment l’impression de donner l’illusion de vie à des personnages.

Je me dirigeais plus vers l’animation 2D, mais au moment de faire mon choix d’études, dans les années 1990, cette industrie n’allait pas très bien en Amérique du Nord. Et puis c’était aussi l’essor de la 3D, on avait vu Jurassic Park ou encore Toy Story. C’était une voie intéressante, et c’est comme ça que j’ai fait mon choix.

QU’EST-CE QUI T’AS POUSSÉ VERS LE JEU VIDÉO, ET UBISOFT EN PARTICULIER, OÙ TU AS DÉMARRÉ TA CARRIÈRE EN 1999 ?

S.P. J’ai commencé ma carrière ici après des études en animation, qui étaient axée sur le cinéma. C’était un concours de circonstances, car j’ai terminé mes cours à un moment où Ubisoft cherchait des animateurs. Ils s’étaient implantés à Montréal quelque temps auparavant. Mais c’était aussi à un moment où il n’y avait pas tant de jobs que ça dans mon domaine, et j’étais super ouverte à l’idée de faire du jeu vidéo, car j’y jouais beaucoup enfant, notamment sur la Nintendo NES. Le timing et le « fit » étaient parfaits, et je n’ai pas regretté mon choix !

“ AU DÉBUT DE LA CRÉATION D'UBISOFT MONTRÉAL, ON ÉTAIT TOUS DÉBUTANTS, ON NE RÉALISAIT PAS QU’ON ALLAIT DEVENIR DES PIONNIERS. ON FAISAIT TOUT POUR LA PREMIÈRE FOIS, ON ESSAYAIT ET ON SE TROMPAIT, ET ON RECOMMENÇAIT. ON FAISAIT DE NOTRE MIEUX AVEC LES MOYENS DE CETTE ÉPOQUE, ET C’ÉTAIT PASSIONNANT.

gameplay animator SP

LE STUDIO DE MONTRÉAL VENAIT EN EFFET D’ÊTRE CRÉÉ DEUX ANS PLUS TÔT. QUELS SOUVENIRS GARDES-TU DE CETTE ÉPOQUE, DE CES PREMIÈRES ANNÉES DE VIE DU STUDIO ?
S.P. J’étais vraiment jeune, j’avais un peu la naïveté de mes vingt ans, mais je me souviens que c’était super ! On était tous débutants, on ne réalisait pas qu’on allait devenir des pionniers. On faisait tout pour la première fois, on essayait et on se trompait, et on recommençait. On faisait de notre mieux avec les moyens de cette époque, et c’était passionnant. Mon premier projet c’était Jungle Book Rhythm N Groove, un jeu de danse pour la première PlayStation, et je me souviens de mon travail sur les vautours. Les personnages étaient très optimisés, il manquait des polygones pour que les genoux plient. Ce n’était pas évident de les faire danser ! On a dû faire beaucoup avec plusieurs contraintes d’optimisation, mais on a tellement appris ces premières années-là. Ce sont vraiment des moments très positifs dans mes souvenirs.

TU ES ENSUITE PARTIE DANS LE CINÉMA, NOTAMMENT SUR DES PROJETS COMME 300 OU AVATAR. QUEL ÉTAIT TON RÔLE SUR CE TYPE DE PROJET ?

S.P. J’ai effectivement temporairement quitté le jeu vidéo pour travailler d’abord sur un film d’animation en 2001, puis dans un studio de VFX où on travaillait sur des films à gros budget. Sur 300 on a fait beaucoup d’animation de foule, c’était parfois des milliers de personnages à l’écran, donc impossible à tourner en studio. On animait à la main des personnages, ensuite une autre équipe les dupliquait pour donner l’effet de foule à l’écran. Sur Avatar, j’ai travaillé sur la séquence de « link room », l’endroit où les héros s’allongent dans des lits pour se lier à leur avatar. On a ajouté quelques personnages en background pour rendre la séquence plus vivante et nous avons aussi fait du « matchmove », une méthode pour remplacer des objets du tournage « live » par des objets en 3D. C’était moins créatif, forcément, mais néanmoins une étape importante pour notre travail en post-production.

gameplay animator SP3

AU VU DE TES EXPÉRIENCES SUR LES DEUX MÉDIUMS, QUEL PONT DRESSES-TU ENTRE LE CINÉMA ET LE JEU VIDÉO ? ONT-ILS ENCORE À APPRENDRE L’UN DE L’AUTRE AUJOURD’HUI ?

S.P. Quand je suis arrivé dans le studio de VFX, je me souviens avoir trouvé que le rythme de production était assez lent. On passait énormément de temps sur chaque plan, les moindres détails étaient travaillés, ça devait être parfait. Dans le jeu vidéo, le rythme est plus soutenu car on doit produire énormément d’éléments rapidement.

De façon générale, je vois plein de liens entre les deux en animation mais selon mon expérience, je trouve que ce sont tellement deux médiums distincts qui ont leurs propres contraintes et défis. En cinéma, on anime selon une caméra précise, on recherche un niveau de qualité exceptionnelle presque dans chaque pixel. En jeux, on veut que le joueur ait un personnage plaisant à contrôler et agréable à regarder. Bien que la qualité de l’animation soit super importante, le gameplay prévaut. Et évidemment on doit animer dans tous les angles. Personnellement, je préfère les défis du jeux vidéo. C’est incroyablement satisfaisant de créer un personnage agréable à contrôler, à regarder et qui accompagnera le joueur pendant des heures dans ses aventures. Est-ce que les deux médiums ont encore à apprendre l’un de l’autre ? Malgré leurs différences, oui absolument. L’animation pour le jeu vidéo gagnerait de s’inspirer du souci du détail du cinéma et le cinéma gagnerait de s’inspirer de quelques méthodes du jeu vidéo pour gagner du temps. D’ailleurs, j’ai vu que certains studios de VFX avaient commencé à utiliser l’engin Unreal pour faire des prévisualisations et postvisualisation, ce qui allège la tâche de façon significative. Ça c’est une vraie convergence !

AUJOURD’HUI, TA SPÉCIALITÉ, CE SONT LES ANIMAUX, ET PLUS PRÉCISÉMENT LES OISEAUX, EN ANIMANT LES TROIS COMPAGNONS AILÉS DES HÉROS DE LA DERNIÈRE TRILOGIE ASSASSIN’S CREED. ÉTAIT-CE EN LIEN AVEC UNE PASSION PARTICULIÈRE DE TA PART POUR LA FAUNE ?

S.P. Je suis une amoureuse des animaux depuis toujours. Je sens que j’ai un lien naturel et intense avec eux, j’ai toujours été entourée d’animaux, j’ai même vécu avec une tortue pendant trente ans. Étant donné cet intérêt marqué, je les observe abondamment, plus que les humains. Étant introvertie, cela m’a toujours semblé plus simple, j’adore découvrir leur personnalité. Je peux passer des heures à observer des oiseaux, et jouer très longtemps avec mes trois chats.

Et je dirais que faire de l’animation, c’est souvent reproduire de façon crédible ce que tu vois, donc ça a toujours été plus naturel, plus facile, pour moi d’animer les animaux. Dès que j’ai un peu de temps libre pour faire de l’animation pour moi, c’est toujours un animal sur lequel je travaille, jamais un humain. Et comme j’en ai fait énormément, j’ai développé une vraie facilité.

TU AIMES BEAUCOUP LES OISEAUX. COMMENT APPREND-ON À LES ANIMER ? QUELLE EST LA MÉTHODE D’APPRENTISSAGE IDÉALE SELON TOI ?

S.P. Il n’y a pas de technique particulière selon moi, et comme je disais avant, c’est vraiment l’observation la clef. Peu importe le personnage, tout repose sur la préparation. Avant de commencer à animer, je me gave de références visuelles et si possible j’observe ces animaux ou oiseaux « live ». Je regarde comment les pattes bougent, si elles frôlent le sol, si elles semblent lourdes. Et quand ils chassent, comment leur déplacement change. J’en apprends le plus possible aussi sur l’espèce. Ensuite, j’élabore sa personnalité, je fais des tonnes de tests d’animations, parfois juste des poses pour définir sa saveur. Mais il n’y a pas de secret, c’est en mettant beaucoup d’heures de travail qu’on peaufine un personnage pour livrer la meilleure performance qui soit. C’est comme un travail d’acteur en fait, il faut se préparer pour le personnage.

gameplay animator aigle

LES TROIS OISEAUX QUE TU AS ANIMÉS POUR ASSASSIN’S CREED ONT UN LIEN PARTICULIER AVEC LEUR MAÎTRE, ET DONC AVEC LEUR JOUEUR.EUSE. COMMENT LES RENDRE UNIQUE DU POINT DE VUE DE L’ANIMATION ?

S.P. Transmettre une émotion demande du temps. Et dans le jeu vidéo, les séquences où cela est possible sont moins nombreuses, car le joueur ou la joueuse est toujours en mouvement. Pour y arriver, il faut d’abord que les principes de l’animation soient appliqués. Sinon l’oiseau ne sera pas crédible. Mais au-delà de la technique il doit avoir également une personnalité et un charisme pour qu’on s’y attache. Pour ces oiseaux j’ai essayé de reproduire le plus possible de mouvements caractéristiques de ces espèces ; des petits détails qui font qu’on les reconnait et qu’on y croit. Par exemple lors des moments de pause dans le jeu, où l’oiseau vient se poser sur le bras de son maitre. C’est un moment d’interaction, le héros peut le nourrir, lui gratter le cou. Ce sont dans ces petits moments-là qu’on ressent de l’émotion et un lien qui se créé avec l’oiseau.

QUAND TU ANIMES UN ANIMAL, ET PLUS PARTICULIÈREMENT LES OISEAUX, QUE CHERCHES TU À TRANSMETTRE ?

S.P. Déjà, je pense qu’il est important de dire que mes meilleures animations sont celles que j’ai pu faire avec la liberté créative dont j’avais besoin. Et c’est quelque chose que j’ai sur Assassin’s Creed, quelque chose qui me permet de transmettre ce que je veux aux joueur.euses : un lien. Je veux qu’iels reconnaissent l’animal/l’oiseau, s’y attachent et qu’iels fassent des liens avec leurs souvenirs. Je veux qu’iels se souviennent de ce moment passé avec l’animal dans le jeu comme iels le ferait dans la vraie vie.

QUEL EST TON SOUVENIR LE PLUS MARQUANT À CE JOUR CHEZ UBISOFT ?

S.P. C’est vraiment difficile de choisir ! Peut-être la première fois que j’ai vu mon animation dans un jeu, que j’ai pris la manette et que je l’ai activée. Mais je dirais que ce n’est pas un souvenir précis mais plutôt une multitude de bons moments qui ont forgé ma carrière et font partie de mon histoire. Le sentiment d’avoir participé à cette industrie créative depuis ses débuts au Québec, c’est ça qui me marque le plus.