Après huit ans d’études dans le domaine de la physique subatomique et des astroparticules, une thèse sur le sujet et près de dix ans d’expérience en tant que chercheuse, Antje Farnier a rejoint le studio d’Ubisoft Annecy en tant que Data Scientist.
Après des études et une thèse en physique subatomique et astroparticules entre France et Allemagne, Antje a rejoint Ubisoft Annecy, où elle travaille en tant que Data Scientist. Elle est également co-responsable du groupe-ressource employées Women at Ubisoft Annecy.
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PEUX-TU NOUS PARLER UN PEU DE TON PARCOURS ? COMMENT ES-TU ARRIVÉE LÀ OÙ TU EN ES AUJOURD’HUI ?
ANTJE FARNIER - Depuis toute petite, j’ai toujours été rêveuse. Je regardais les étoiles avec fascination, ce qui faisait émerger beaucoup de questions en moi. Je me suis mise à feuilleter autant de livres que possible sur le ciel, le système solaire, l’émergence de l’humain sur notre planète… C’est à ce moment que j’ai commencé à me poser des questions sur notre monde, et elles ne m’ont plus jamais quittées ! Je voulais comprendre comment l’humain, pourtant si petit à l’échelle de l’univers, avait réussi à naître ici. Comme le personnage Faust de Goethe, je voulais savoir « si enfin je pouvais connaître tout ce que le monde cache en lui-même”. S’il était possible d’aborder ces questionnements sous le prisme de la philosophie, des mathématiques ou encore de la biologie, ce sont les sciences physiques qui m’ont tout particulièrement marquée. Dès lors, j’ai su que je voulais orienter ma carrière professionnelle vers ce domaine.
Après un cursus scolaire dans un collège et un lycée français à Berlin, j’ai poursuivi mes études supérieures entre la France et l’Allemagne. Captivée par les travaux de Stephen Hawking sur les trous noirs, j’ai commencé à m’intéresser à l’astrophysique, jusqu’à ce que je rencontre un professeur de cosmologie et astroparticules qui a totalement changé ma vision des choses. Il m’a permis de comprendre qu’il était possible de répondre aux questions fondamentales de l’infiniment grand par le biais d’expériences sur l’extrêmement petit. Il m’a aussi donné l’opportunité de faire une excursion dans l’un des plus grands laboratoires scientifiques au monde, le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), en Suisse. Totalement fascinée, j’ai décidé de me spécialiser en physique des particules et astroparticules, jusqu’à mener une thèse !
TOUT AU LONG DE TON PARCOURS, TU AS VÉCU DANS DIFFÉRENTS PAYS EUROPÉENS. COMMENT AS-TU VÉCU CES CHANGEMENTS D’ENVIRONNEMENT ?
A. F. - J’ai été en contact avec la langue française très tôt, et j’ai toujours voulu faire mes études à la fois dans mon pays, l’Allemagne, et la France. Pour autant, j’étais très inquiète quand, à mes 21 ans, j’ai décidé de sauter le pas en m’installant en France.
J’ai ensuite découvert pendant mes études que la physique pouvait me permettre de voyager et de découvrir le monde, aussi bien grâce à des conférences d’experts de pointe que d’expériences scientifiques. J’ai eu la chance de mettre un pied sur tous les continents, et ce même en Antarctique, où j’ai contribué au lancement d’un détecteur d’astroparticules. Peu à peu, j’ai vraiment pris goût à la découverte d’autres cultures. Je suis d’ailleurs très reconnaissante d’avoir pu rencontrer autant de personnes inspirantes et bienveillantes, j’estime que mes collaborateurs ainsi que les lauréats de prix Nobel que j’ai pu croiser sur mon parcours m’ont beaucoup appris.
Après ma thèse en France, j’ai compris qu’il était difficile de décrocher un contrat de chercheuse pour une durée indéterminée. Je suis alors partie à Stockholm, en Suède, pour un contrat de trois ans. J’ai beaucoup aimé cette ville et mon confort de vie là-bas, mais après de longues années loin de l’Allemagne, j’ai eu le sentiment de perdre ma culture. J’y suis retournée, mais j’ai vite réalisé que je ne me sentais plus assez allemande pour y vivre. Depuis, j’ai emménagé à nouveau en France et n’en suis plus repartie.
COMMENT S’EST PASSÉE TON ADAPTATION À L’INDUSTRIE DU JEU VIDÉO ET L’APPRENTISSAGE DE SES PARTICULARITÉS ?
A. F. - Mon adaptation s’est super bien passée ! En passant du côté de l’industrie, je voulais que mes recherches aient un impact concret et direct sur ce dont je travaille, et c’est exactement ce qui s’est passé. Je trouve que beaucoup de choses sont similaires, bien que le rythme de travail soit plus soutenu et les échéances plus courtes. Les grands changements que j’ai ressentis se sont caractérisés par les différences structurelles entre secteurs public et privé, avec par exemple la négociation de salaire ou encore l’évaluation annuelle. J’ai eu un peu de mal à m’y faire. Sinon, mes collègues me disent souvent que j’ai du mal à me défaire de mon perfectionnisme, je veux toujours le résultat le plus exact possible ! (rires)
QUELLE ÉTAIT TA RELATION AVEC LES JEUX VIDÉO AVANT D’ENTRER CHEZ UBISOFT ?
A. F. - J’ai eu des consoles quand j’étais enfant et j’ai surtout joué à des jeux Nintendo sur Gameboy. J’ai toujours bien aimé les jeux vidéo et les jeux de société, mais ce que je préférais, c’était regarder mon frère jouer, notamment sur PC. Il y a 6 ans, quand j’ai démissionné de mon dernier emploi en tant que chercheuse, j’habitais à Annecy et je pensais déjà à Ubisoft. Toutefois, je pensais que l’industrie du jeu vidéo était un milieu fermé et que je ne pouvais pas y entrer sans y avoir une expérience au préalable. À l’époque, je n’avais pas osé postuler et je suis partie travailler pour une start-up parisienne. La pandémie étant passée par là, vivre à Paris était devenu difficile : mon conjoint et moi avons décidé de repartir à Annecy. Mon premier réflexe a été de déposer une candidature spontanée chez Ubisoft !
AUJOURD’HUI, TU ES LA PREMIÈRE RECRUE SENIOR DATA SCIENTIST CHEZ UBISOFT ANNECY. TON MÉTIER A UN NOM QU’ON A SOUVENT DÉJÀ ENTENDU, MAIS QUI PEUT ÊTRE DIFFICILE À SE REPRÉSENTER. POURRAIS-TU NOUS EXPLIQUER EN QUOI IL CONSISTE ?
A. F. - On me demande si avec X données de sources différentes, il est possible de savoir X, Y, Z. Mon but est d’identifier les outils qui permettront d’analyser ces données (par le biais d’algorithmes notamment) et de voir comment les transformer pour obtenir des résultats. Je suis également en charge de créer des tableaux de bord pour les visualiser, présenter les résultats, faire le suivi en voyant si cela marche ou non, et auquel cas, améliorer les performances. Je fais constamment de la veille technologique / scientifique dans le domaine de la data science. Je lis les publications scientifiques pour connaître les progrès dans le domaine. Pour résumer, un.e data scientist a des compétences analytiques, informatiques et aussi de communication.
COMMENT TON TRAVAIL SE MATÉRIALISE-T-IL DANS LES JEUX ?
A. F. - Je travaille sur les performances des jeux à partir d’un outil de production qui me permet d’identifier facilement les problèmes de performance des jeux, du début jusqu’à la fin de leur développement. Pour faire simple, je participe à limiter les ralentissements et les freezes que les joueurs rencontrent en jeu !
AVEC QUELLES ÉQUIPES COLLABORES-TU ?
A. F. - Je travaille au sein du groupe du Technology Group et collabore par exemple avec des Développeurs, Data Engineers, équipes d’analyse des données, ainsi que d’autres Data Scientists. Etant rattachée au pôle innovation, je suis aussi en lien avec les équipes s’occupant des moteurs de jeu (Ubisoft Anvil et Snowdrop).
QUELLE EST LA PARTIE DE TON TRAVAIL QUE TU PRÉFÈRES ?
A. F. - Ce que je préfère, c’est quand je me trompe. J’aime découvrir que les suppositions que j’avais sont fausses et comprendre pourquoi je me trompe. Pour moi, c’est comme un puzzle dont je n’ai pas les pièces. Le processus itératif est continu : je dois constamment estimer la bonne taille, la bonne forme, la bonne couleur… quand je comprends enfin pourquoi une solution fonctionne, c’est toujours un moment très fort.
TU ES ÉGALEMENT CO-RESPONSABLE DU GROUPE-RESSOURCE EMPLOYÉES (GRE) WOMEN AT UBISOFT ANNECY. PEUX-TU M’EN DIRE PLUS SUR CETTE INITIATIVE ET SES OBJECTIFS ?
A. F. - Le groupe-ressource Women at Ubisoft Annecy est un collectif de femmes employées par Ubisoft au studio d’Annecy. Il vise à créer un espace d’échange et de soutien, dont les membres peuvent créer collectivement des outils dédiés à la croissance et à l’évolution personnelle. Dès ma procédure de recrutement dans l’entreprise, je me suis intéressée à la diversité du studio et je voulais savoir quel était le pourcentage de femmes y travaillant. C’est un sujet qui doit être traité et qui doit être pris au sérieux.
Depuis la création du GRE Women at Ubisoft Annecy en mars 2022, 10% de mon temps de travail est alloué à celui-ci, dont je suis co-responsable. Je participe notamment à sa structuration en définissant notre champ d’action, en organisant des événements et en créant une communauté autour de notre groupe, une safe place. Nos objectifs sont d’informer sur les problématiques rencontrées par les femmes et de contribuer à retirer les mythes autour de celles qui travaillent dans l’industrie du jeu vidéo. Nous organisons également des rencontres avec les professionnelles du studio.
DE MANIÈRE GÉNÉRALE, AS-TU TOI-MÊME EU DES FREINS DANS TA CARRIÈRE EN RAISON DE TON GENRE ?
A. F. - Bien que j’aimerais pouvoir dire non, je pense que oui. J’évolue dans un domaine très masculin où les préjugés envers les femmes perdurent. J’ai souvent entendu que la physique était trop compliquée pour une femme, que je ne pouvais pas faire ci, pas faire ça… Malheureusement, je pense que le frein est aussi psychologique. A force de se faire dire qu’on ne peut pas le faire, on finit par s’auto-censurer et ne pas essayer. A mon échelle, c’est quelque chose que j’ai beaucoup ressenti.
AS-TU DES CONSEILS POUR LES JEUNES FEMMES QUI SOUHAITERAIENT FAIRE CARRIÈRE DANS LA TECHNOLOGIE ?
A. F. - De suivre leurs rêves. Je leur conseillerais de trouver un.e mentor, un.e allié.e qui peut les aider dans toutes les procédures (quelles matières choisir, quelles formations, quelles universités), les écouter et les conseiller en tous points. Il faut écouter ses passions, continuer, ne pas se décourager et ne pas les bloquer car d’autres disent qu’on ne peut pas le faire.